jeudi 30 août 2012

Liaisons dangereuses (1)

2007 - au temps de la coopération renforcée...
Alors que les relations diplomatiques entre Japon et Corée connaissent un moment difficile, il peut être intéressant de s'en remémorer l'historique.


Je l'ai fait à l'aide de mes souvenirs pour la période 1987-2012, et de l'excellent livre "Japan's Foreign Policy, 1945-2009", par Kazuhiko Togo, un diplomate japonais qui sait faire la part des choses et exposer sans passion les vues de la partie adverse et les erreurs de son propre camp.

Je note ici les dates et éléments clé de cet historique :

  • 15 août 1945 = capitulation du Japon et indépendance de la Corée.
  • 1951 = traité de paix de San-Francisco entre alliés et Japon, et début des négociations sur un traité Corée-Japon.
  • 1952 = établissement unilatérale de la ligne Rhee Sing-Man définissant les zones de pêche coréennes. Des bateaux japonais sont arraisonnés et mis à l'amende.
  • 1953 = un membre de la délégation japonaise parle "d'aspects positifs de la colonisation". Les négociations sont suspendues jusqu'en 1958.  
Balbutiements (1965-1975):
  • 22 juin 1965 = signature du traité rétablissant les relations diplomatiques entre les 2 pays, sous l'impulsion conjointe du Président Park Chung-Hee et du premier ministre Sato Eisaku. L'accord permet un démarrage des échanges économiques. 5 principaux points :
    • aplanissement des différents diplomatiques: "profonds remords" du Japon pour la colonisation (explicitement prononcés par Sato Eisaku à Séoul le 17 février), accord sur le statut des traités antérieurs à 1910.
    • réparation des dommages subis par la Corée: le Japon verse 800 Mio. de $ à la Corée, en partie pour compenser les dommages subis par les Coréens à titre individuel, en vertu d'un barème alors gardé secret (il ne sera publié qu'en 1985). La somme est principalement consacrée par la Corée à la création de la société sidérurgique Posco et à la construction de l'autoroute Séoul-Busan.
    • accord sur les zones de pêche: établissement d'une zone de contrôle conjoint dans laquelle chaque navire est soumis aux lois de son propre pays.
    • permis de résidence permanente pour les 600 000 coréens vivant au Japon en août 1945 et leurs enfants nés avant le 22 juin 1970.
    • échanges de notes diplomatiques précisant la position des 2 parties sur Dokdo/Takeshima et établissant qu'il ne s'agit pas d'un "conflit", mais d'un point à régler ultérieurement.
  • août 1973 = l'opposant et futur président coréen Kim Dae-Jung, alors résident à Tokyo, est enlevé par des barbouzes coréens et exfiltré en Corée. Vives protestations du Japon.
  • 15 août 1974 = un citoyen japonais d'origine coréenne blesse le président Park et tue la femme de celui-ci, à Séoul, déclanchant une année de tensions médiatiques.
Progrès ou stagnation ? (1980-1995):
  • Le président Chun Doo-Hwan, élu en 1980, réclame avec insistance une assistance de 6 Mds. de dollars, en reconnaissance du rôle de la Corée du Sud dans le maintien de la sécurité en Asie du Nord. Tension avec le premier ministre Suzuki, mais Nakasone Yasuhiro, élu en 1982, se montre plus conciliant, vient à Séoul en janvier 1983 et accepte un plan de soutien de 4 Mds. sur 7 ans. 
  • On s'attend alors à une embellie des relations, bien que la Corée n'apprécie pas que Nakasone visite le temple Yasukuni en 1985. Mais les choses se gâtent en 1986 lorsque le comité de lecture du ministère japonais de l'éducation approuve un manuel d'histoire qui passe sous silence les exactions du Japon pendant la guerre. Protestations de la Corée et de la Chine, auxquelles Nakasone répond en obtenant, pour la première fois, que le comité revienne sur sa décision. Malheureusement, le ministre de l'éducation, Fujio Seiko, n'en démord pas. Il accorde une interview au magazine Bungei Shunjyu où il explique qu' "il y a aussi une part de responsabilité coréenne dans l'annexion de la Corée par le Japon". Nakasone limoge Fujio, mais le mal est fait.
  • La Corée continue à se développer à grande vitesse: démocratisation du pays et jeux olympiques de Séoul en 1988. Mais les relations diplomatiques Japon-Corée restent au point mort pendant plusieurs années.
  • 1991 = 3 anciennes "femmes de réconfort", forcées à la prostitution par l'armée impériale japonaise, obtiennent de la cour suprême coréenne le droit de réclamer des compensations individuelles en dépit de l'existence du règlement global de 1965. 
  • Le gouvernement Miyazawa décide d'ouvrir une enquête sur le dossier des "femmes de réconfort". Cette enquête conclut en 1993 que "dans de nombreux cas, ces femmes ont été enrollées de force", et exprime les "excuses sincères et le remords" du Japon. 
  • Les mots "excuses sincères et le remords" du Japon concernant la Corée sont prononcés par les premiers ministres japonais qui se succèdent: Kaifu, par 2 fois, en 1990, Miyazawa en 1993 et Hosokawa en 1994, mais semble-t-il n'arrivent pas à convaincre en Corée.
  • Le gouvernement japonais, par delà ces déclarations, ne souhaite pas ouvrir la voie à une indemnisation individuelle des victimes par l'état, lequel a, de son point de vue, réglé le problème en 1965. Il croît trouver la solution en créant, en 1995 le "Asia Women's Fund", alimenté par des dons publics et privés. Ce fonds verse 2 Mio. de yens par personne, accompagnés d'une lettre d'excuses du premier ministre Murayama,  à 285 femmes en Corée, Taiwan et aux Philippines.
Lune de miel (1995-2005):
  • 15 août 1995 = le premier ministre Murayama prononce un discours sans équivoque pour la commémoration du cinquantenaire de la capitulation. Il y parle "des faits irréfutables de l'histoire" et expose son profond remords, ses excuses sincères et son profond sentiment de condoléances envers les familles des victimes.
  • S'ouvre une période faste de relations, marquée par l'obtention par le duo Corée-Japon de l'organisation de la Coupe du Monde de Foot 2002, l'aide financière massive du Japon à la Corée très impactée par la crise asiatique en 1997, un nouvel accord sur la pêche en 1998 (où les 2 parties acceptent de traiter Dokdo/Takeshima "ultérieurement"), et la populaire visite au Japon du président Kim Dae-Jung la même année. La déclaration conjointe signée à cette occasion réitère le remords et les excuses du premier ministre Obuchi pour "les souffrances et les dommages énormes" du passé, et le président Kim "accepte avec sincérité cette reconnaissance de l'histoire", et souhaite "dépasser cette histoire infortunée et construire une relation tournée vers le futur et basée sur la réconciliation".
  • L'embargo coréen sur les produits culturels japonais est levé, le Japon fait un prêt de 4Md. de dollars à la Corée, et les 2 dirigeants s'accordent sur le "Japan Korea Economic Agenda 21" lors de la visite de Obuchi à Séoul en 1999.
  • Nuage en mai 2001 pour une nouvelle affaire de manuels d'histoire qui provoque le rétablissement de l'embargo culturel. Le nouveau premier ministre Koizumi, pourtant mal inspiré d'aller visiter le temple Yasukuni en août, réussit à sauver les meubles en proposant une commission historique coréano-japonaise. 
  • 2002 = Coupe du Monde de Foot Corée-Japon, dans une ambiance chaleureuse aidée par le bon résultat de la sélection coréenne.
  • 2003 = Le nouveau président Roh Moo-Hyung déclare ne pas vouloir laisser le poids de l'histoire faire obstacle aux relations entre les 2 pays. Début des négociations sur le FTA, avec objectif de conclure en 2005. La diffusion du TV drama coréen "Winter Sonata" marque le début de la vogue de la Corée chez les japonais(es) de tous âges.
Premier accident (2005-2007):
  • mars 2005 = le parlement de la préfecture de Shimane instore le 22 février "jour de Takeshima" pour protester au nom des pêcheurs de Shimane contre le fait que le traité de 1998 n'était pas mis en oeuvre correctement ni leurs droits respectés. Le gouvernement Koizumi, occupé alors à traiter l'affaire des enlèvements de japonais par la Corée du Nord, laisse faire sans réagir... La nouvelle a peu d'écho au Japon, mais fureur en Corée où le président Roh parle de "guerre diplomatique" et stoppe tous les pourparlers en cours sur le FTA.
  • 2005-2006 = visites des premiers ministres Koizumi puis Abe en Corée, sans avancée.
  • 2006 = A l'annonce par le Japon d'une mission océanographique aux environs de Dokdo/Takeshima, le président Roh envoie une force navale de 20 navires en protection des îlots.
Pragmatisme (2007-2012):
  • décembre 2007 = Lee Myung-Bak nouvellement élu président remet le FTA à l'agenda, dans le cadre de discussions tripartites avec la Chine, marquées par des réunions annuelles au sommet à partir de 2008, année où le président Lee se rend à Tokyo.
  • 2009-2011 = années de "shuttle diplomacy" où les 2 pays s'accordent à garder un contact permanent pour résoudre au cas par cas les problèmes. Outre les dossiers économiques liés à la crise mondiale, l'accent est mis sur les questions de sécurité face à la Corée du Nord, et en 2011 à la solidarité avec le Japon suite au tsunami. Deux nouvelles affaires de manuels scolaires japonais, d'histoire en 2008 et de géographie en 2010, ne réussissent pas à obscurcir l'atmosphère. 
  • Mai 2012 = réunion tripartite avec la Chine à Pékin. Annonce de la reprise des négociations sur l'accord de libre-échange Japon-Corée d'ici à la fin de l'année. Des points de friction existent (Dokdo/Takeshima), mais ne semblent pas devoir compromettre la volonté commune de renforcer la coopération sur les dossiers économiques et de sécurité.
Sortie de route (2012-...) :
  • Juin 2012 = la présidence coréenne annonce le 27 juin avoir négocié secrètement un accord de défense avec le Japon, qui devrait être signé le 29 juin à Tokyo. Tollé dans l'opposition coréenne qui accuse le président Lee de "vendre le pays". Le chef du parti de la majorité Korea New Frontier fait une visite à Dokdo/Takeshima pour essayer de calmer les esprits, mais rien n'y fait.
  • 10 août 2012 = le président Lee décide d'être le premier président coréen à se rendre sur Dokdo/Takeshima. Il explique cette décision par le besoin de faire pression sur le Japon pour qu'il compense les exactions commises pendant la période d'occupation. 5 jours plus tard, il réitère en déclarant que l'empereur du Japon ne sera pas le bienvenu en Corée "à moins qu'il ne prononce des excuses du fond de son coeur".
  • Dialogue de sourds diplomatique: le Japon réagit en adressant une lettre demandant officiellement à la Corée de porter le cas de Dokdo/Takeshima devant la cour internationale de justice pour mettre un fin au différend. La Corée refuse la lettre, la fait renvoyer par son ambassadeur à son expéditeur qui refuse de recevoir le porteur, lequel met finalement la lettre à la poste.
  • Pour la première fois semble-t-il, les médias japonais s'intéressent au sujet de Dokdo/Takeshima, et malheureusement, ouvrent leurs colonnes aux moins mesurés des commentateurs. Les plus modérés (Asahi Shimbun) font grief à la Corée de ne pas tenir compte des excuses répétées du Japon. Les plus excités (Yomiuri  Shimbun) appellent à réviser les conclusions de l'enquête historique de 1993 sur les "femmes de comfort".
  • Conséquence de la pression médiatique et de l'approche d'échéances électorales, le Japon déclare vouloir désormais faire la plus grande publicité à sa revendication territoriale sur Dokdo/Takeshima, alors que c'était jusqu'à présent un sujet fortement peu présent dans la presse nippone. Les journaux coréens titrent sur "le renouveau de l'impérialisme japonais".
La suite ici (Liaisons Dangereuses - 2).

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